Thierry Esther, trouvant refuge dans la nuit durant ses nuits blanches, zappe entre les chaînes de télévision. Lors de l’une de ces nuits, il tombe sur un documentaire, «Dans la tête de Godard et de Beauregard», qui l’amène à revoir des extraits des films «À bout de souffle, Pierrot le Fou et Le Mépris». Ces œuvres marquantes du cinéma français résonnent profondément en lui, nourrissant ses réflexions sur la condition humaine et les contradictions de l’existence.
C’est dans cet état d’esprit qu’il découvre une citation emblématique de Martin Luther King, tirée de son discours «I have a dream», qui l'inspire profondément :
«I have a dream that my four little children will one day live in a nation where they will not be judged by the color of their skin but by the content of their character.»*
Le titre NOIR puise ainsi dans une double source d’inspiration : d'une part, les combats contre les jugements superficiels et, d'autre part, les idéaux d'une société fondée sur des valeurs humaines universelles. Ces inspirations se croisent et se renforcent, transcendant les questions de couleur de peau pour interroger les valeurs de tolérance et de compréhension qui nous unissent tous.
Les cicatrices visibles et invisibles de l’histoire
Il invite à une réflexion profonde sur les héritages du passé. Si les chaînes visibles de l’esclavage ont disparu, des formes modernes de domination persistent : exploitation, harcèlement, et propos cinglants. Ces cicatrices invisibles de l’histoire continuent de façonner nos existences, à l’image d’Alceste, le misanthrope de Molière, dénonçant l’hypocrisie et les compromissions humaines.
Au cœur de l’atelier : où mémoire et création se rencontrent
Dans l’intimité brute de son atelier, un espace hors du temps baptisé 7bach123, où il vit et dort, il s’immerge dans les récits de son enfance et les douleurs enfouies de l’histoire réunionnaise. Cet atelier devient un sanctuaire où la mémoire collective dialogue avec une quête personnelle, un lieu où il brise les non-dits et métamorphose les marques du passé en œuvres vibrantes et engagées.
Ses œuvres, comme «8 ans», «Fenêtre», ou encore le triptyque «Île Dina Morghabine 1153, Île Bourbon 1649, Île Réunion 1794», s’imposent comme autant de fragments d’un dialogue entre le passé et le présent. Chaque pièce transcende le temps, mêlant mémoire et réinvention pour construire un pont entre l’intime et l’universel. Le triptyque, en particulier, convoque l’histoire tumultueuse de La Réunion : des premières rencontres coloniales à l’esclavage, jusqu’à l’émergence d’une identité réunionnaise métissée. Ces récits, souvent réduits au silence, reprennent vie à travers ses matériaux, comme des poèmes visuels tissés d’échos historiques.
Dans cet espace singulier, il explore les traces visibles et invisibles laissées par l’histoire. Il interroge les liens subtils entre le visible et l’invisible, et redonne voix à des récits oubliés, métamorphosant son atelier en scène vivante d’un voyage intérieur où chaque geste réconcilie les ombres de l’histoire avec la lumière de l’avenir.
Mémoire photographique et transmissions brisées
Une section centrale de l’exposition intègre des photographies historiques de La Réunion des années 1950 et 1960, remaniées par l’artiste. Dans les années 1860, les premières photos réalisées sur l’île fixent pour toujours les visages et paysages d’époque. En revisitant ces images, l’artiste mêle réalisme et liberté artistique pour explorer l’évolution de l’identité réunionnaise.
Il évoque, dans deux toiles intitulées
«La Fenêtre dans la Forêt» et
«Il Neige», le départ forcé des enfants réunionnais et des épisodes marquants, tels que le transfert de 1 600 d’entre eux vers la métropole entre 1963 et 1982. Bien que désignés comme
«pupilles», certains de ces enfants avaient été arrachés à leurs familles. Placés au service de familles françaises dans des départements comme la Creuse, le Tarn ou le Cantal, ils furent parfois victimes de violences physiques ou sexuelles, et réduits, pour certains, à une forme de servitude moderne. Ces souvenirs, lourds d’émotions, s’intègrent dans une réflexion où les cicatrices du passé se mêlent aux promesses d’un avenir à réinventer.
Une odyssée personnelle et universelle
Pour Thierry Esther, ce projet est une véritable odyssée temporelle. À travers ses œuvres, il revisite les paysages et les instants fugaces qui ont façonné son identité. Il raconte le départ à huit ans de La Réunion pour Paris, le déracinement, et les souvenirs prégnants d’une enfance marquée par les effluves des plats que préparait sa mère, aujourd’hui disparue. Ces réminiscences culinaires, comparables à une Madeleine de Proust, nourrissent son art et deviennent un baume apaisant, un pont entre un passé douloureux et un présent chargé d’espoir.
NOIR : l’art comme exploration universelle
Avec
NOIR, l’artiste dépasse la simple démarche artistique pour s’aventurer dans les méandres de la mémoire collective et individuelle. Chaque œuvre devient un miroir tendu vers le visiteur, invitant à une réflexion sur l’héritage que chacun porte en lui, parfois sans en avoir conscience. Les thématiques abordées – les blessures du passé, le poids des origines, la quête d’identité – transcendent les frontières culturelles pour atteindre une dimension profondément humaine.
À travers des récits visuels empreints de poésie et d’histoire, l’artiste interroge les liens invisibles qui unissent les générations, révélant comment le passé continue de façonner le présent. Cette exploration dépasse les expériences personnelles de Thierry Esther : elle questionne les souvenirs qui subsistent dans nos gestes, nos mots, et même nos silences. En réactivant des mémoires enfouies,
NOIR invite à redécouvrir des fragments oubliés, tout en ouvrant une voie vers la réconciliation et la transmission.
Gabriel Pienza TOSCANA, 28 janvier 2025
*«Je rêve que mes quatre enfants vivent un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère.»
Une partie de l'exposition a été mise en ligne pour permettre à l'artiste de rester en contact avec ses admirateurs, amis et un nouveau public :
Instagram :
@thierryesther
Site Internet :
www.thierryesther.eu
Mail : contact@thierryesther.com