Espoir pour un monde qui vient
Si le but de l’art est de révéler l’inexprimable, les moyens sont variés et plus ou moins accessibles. Le monde de Thierry Esther, lui est à l’image de la modernité, efficace, rapide, complexe et multiple sans être compliqué, univers riche de diversité et de superpositions. La rencontre semble cependant difficile car nous ne sommes pas en mouvement mais plutôt spectateur impuissant, la vraie rencontre est avec soi-même. Il nous est offert une vision pixellisée à l’infini où rien ne se dilue. Cependant le reflet, la lumière, la matière sont des échappatoires qui restent indispensables comme un supplément d’âme en superposition sur un fond de théâtre.
Ce monde qui vient est celui de la créolisation : jeu de cubes, mosaïque de couleurs, quadrillages empilés en immeubles d’où s’échappent parfois un élément électron délivré, font face aux étendues naturelles de l’ancien monde. La vie semble absente de tout personnage, sauf parfois une présence ou un regard isolé à une fenêtre. Le décor est posé et lui seul suggère le fourmillement ou le désert. C’est pour cela que nous nous approprions facilement les peintures de Thierry Esther, nous sommes invités à nous positionner sur scène et à investir notre environnement qui est sublimé, interprété jusqu’à la limite de l’abstraction décorative.
Il ne s’agit pas d’une œuvre qui cherche à convaincre, il ne s’agit pas d’une œuvre qui dégage un message mais qui se contente de nous interpeller sur notre situation. Nous sommes si nombreux dans un monde si concentré, que les individus ne se voient plus et ne sont pas représentés.
Laissons nous envelopper dans les couleurs du monde moderne; laissons nous impressionner par les événements qui secouent, traumatisent ou transforment ce monde; actualisons notre ressenti comme des images sur la toile du web; laissons nous aller jusqu’à perdre pied entre réel et virtuel, entre naturel et artificiel. Le beau est intemporel et l’instant est éternel.
Quotidien répétitif, présence imprécise, enfermement, événement cataclysmique, les tableaux de Thierry Esther sont presque toujours une histoire. Cette histoire le peintre se laisse volontiers aller à la raconter mais il faut vite l’oublier car elle n’est qu’un prétexte, seuls comptent l’ambiance, le point de vue dans lequel l’artiste nous laisse nous positionner.
Il est amusant de voir que, dans la récente série de peintures qui ont constitué l’exposition «Regarde défiler la ville» à Paris, on retrouve souvent une porte de sortie cachée (grille, lucarne, fenêtre...). Est il possible de sauter d’un univers à l’autre par des passages secrets, de voyager virtuellement d’image en image, d’écran en écran, de page en page tel Peter Pan, de click en click ? Tout se bouscule dans l’urgence de peindre, change de sens au fur et à mesure de la création pour s’arrêter brusquement sans réponse et c’est à nous de continuer le voyage si nous trouvons l’issue.
Sans cesse entre grouillement et solitude l’artiste se sent protégé par la ville et emporté par l’espace et les éléments. Quand il évoque la nature elle est souvent représentée détruite ou en ébullition, balayée de catastrophes, instable ... Si elle est calme, c’est un désert minéral, une étendue bleue.
Dans une première période de création, souvenir d’une enfance lovée dans une île close, la mer était accueillante, les tourbillons attirants, les tornades n’étaient que blés ventés, les tempêtes des envols bruissants.
Puis vint le temps du voyage et de la ville, le temps de la séparation, de la confrontation. Les images du monde défilent, tout est photographié, survolé, en voie de disparition et les drames angoissants de l’histoire semblent se répéter entraînant la nature elle même dans cette accélération destructrice. Ces témoignages sont cependant pleins d’espoir car ils sont sauvegardés. Nous nous approprions alors le monde dans sa totalité et dans ses différences, un monde qui disparaît en laissant des traces et un monde qui se construit sans rien oublier.
Rares sont les oeuvres de terrain, qu’importe la réalité, il est fait appel à notre imaginaire et les architectures les plus modernes côtoient les vestiges vivants interprétés et filtrés par notre regard.
Ce positionnement de la peinture actuelle de Thierry Esther est le fruit d’un choix bien déterminé et non d’une attitude de repli et cela donne encore plus de force à son œuvre. En effet l’artiste est par ailleurs photographe, grand voyageur, spécialiste de communication et il a produit aussi plusieurs séries de portraits d’une facture vigoureuse. La rencontre fait donc partie de sa vie et s’il nous offre ces espaces vides, ces jardins à traverser, ces façades multipliées c’est pour mieux les habiter. Ce monde n’est pas triste, il est vibrant, coloré, brillant, il n’attend que votre regard et votre présence.